MUDDY WHAT? enflamme BAIN DE BLUES 2023Il n’est pas pressé. Il a le temps. Que sont
Bain de Blues 2023 – 17ème édition, 21 & 22 avril 2023
par Y. Philippot-Degand. Photos Philippe Archambeau.
Comme cela est devenu chaque année une tradition, ce festival s’est ouvert ce vendredi 21 avril 2023 près de la grande salle, sous le barnum qui abrite la prestation des jeunes d’Opus17, l’école de musique de Bain de Bretagne. Une nouvelle promotion de jeunes musiciens a ainsi pu montrer ses capacités aux premiers arrivés. Une épreuve stressante pour ces jeunes, mais formatrice et encourageante, sous des regards bienveillants, et qui sera renouvelée le samedi. Le cru 2023 a pu ainsi montrer ses réelles capacités et a recueilli sous forme d’applaudissements nourris le fruit de son travail.
La grande salle ouvre ses portes, et le groupe chargé ce vendredi sur la petite scène du difficile exercice des inter-scènes nous met tout de suite dans l’ambiance : appuyé par une remarquable rythmique basse-batterie, composée de Cyril Babin à la basse et Sébastien Jonckheere à la batterie, Quentin Winter a pu nous livrer quelques échantillons de son talent en s’appuyant, exercice oblige, sur les parties les plus « rentre dedans » du répertoire du Winter Blues Band. Très apprécié par le public pour son énergie puissante, quelquefois un peu démonstrative, le groupe a pu tout au long de la soirée exposer les compositions originales de son leader-guitariste-chanteur, ne s’aventurant que pour le dernier morceau de sa soirée vers un morceau d’ambiance très réussi au feeling plus reptilien, « Little Boy ».

    
Déjà,  à l’autre extrémité de la salle, le « boss » Patrick  Lecacheur s’empare du micro pour ouvrir les festivités de la  grande scène, et lancer dans l’arène Hermes  Fury.  Le mélange original entre Hermès, le messager des dieux, le Mercure des Romains,  divinité grecque des croisements, indice des racines  méditerranéennes, et le boxeur Tyson Fury, pour le côté résilient, fournit le nouveau nom de scène de Kussay  Al Muniem, ancien des KATS (Kussay and the Smokes), groupe Blues-Rap  ayant sévi dans les festivals de 2009 à 2017. Kussay a écrit ses  chansons sur des musiques du producteur H24, de son vrai nom Nabil  Ifourah, et vient les livrer  avec énergie à l’appréciation d’un public pas forcément  conquis d’avance. On commence par un blues lourd portant des  données autobiographiques. Puis un blues lent permet une première  balade du chanteur dans le public. Kussay essaie visiblement de créer  un lien avec son audience et ne lésine pas sur les efforts. Il  revient dans le public dès le troisième morceau et essaie de le  faire chanter, avant de passer à un blues marqué par l’esprit  gospel. Bien entendu, on retrouve dans sa prestation quelques accents  hip-hop, mais pas des plus flagrants. Globalement, on sent chez  Kussay une flamme, une implication dans la musique qui aident à  transmettre ce qu’il veut véhiculer, se donnant à fond dans  l’entreprise, tirant aussi son impact scénique grâce au soutien  appréciable d’une voix expressive. Il a ainsi réussi à conquérir  une partie notable du public de Bain, ce qui constitue déjà en soi  une performance, alors que d’autres spectateurs ont moins apprécié  la prestation. En fait-il « trop » ? Cet artiste  évoluera encore sûrement dans les prochaines années. Cette  évolution sera probablement intéressante à suivre.
    
      
      
    En  apparence, le blues de Breezy  Rodio,  guitariste né à Rome mais ayant suivi le formateur circuit de  Chicago, se veut beaucoup plus traditionnel. C’est la première  impression qu’il donne, servi par une mise en place impeccable dont  le mérite revient aussi au remarquable trio français qui  l’accompagne : Benoît Ribière (piano), Antoine Escalier  (basse) et Pascal Delmas (batterie). Une écoute plus attentive  permet en fait de relever quelques subtilités et une complexité  réelle de sa musique. En tous cas, les amateurs plus traditionnels  se délectent visiblement à l’écoute de ce blues si bien joué,  servi par une voix chaude et expressive et une présence sympathique.  L’artiste sait faire le show et distille au passage quelques  remarquables chorus de guitare en ligne claire mettant en évidence  sa maîtrise instrumentale. La machine tourne de manière très  professionnelle, mais aussi très séduisante, entièrement tournée  vers un très agréable moment de plaisir musical. Le public adhère  avec enthousiasme et le manifeste.


    
    Arrive un moment très  attendu par de nombreux festivaliers : la prestation de Whitney  Shay,  appuyée par un quartet comprenant deux musiciennes dont la  réputation grandit de jour en jour : la pianiste Katarina Pejak  et la guitariste Laura Chavez, précédée d’une flatteuse  notoriété. Petite surprise au départ : le set commence sans  la vedette par un très joli morceau interprété par Katarina Pejak.  Cela nous permet de mesurer l’étendue du talent de la pianiste  dont la voix « passe » très bien et qui s’assure là  un joli succès, tout à fait mérité. Tout au long du set, son  inspiration aux claviers illuminera la musique proposée. Whitney  Shay peut faire son entrée et sa soul énergique teintée de blues  met aussitôt en transe une bonne partie du public. Le talent  indéniable des musiciennes, propulsé de façon tout aussi brillante  par une impeccable rythmique -masculine !- (Tomek  German à la basse, Denis Palatin à la batterie) a  le don de faire remuer un public tout de suite conquis, même si la  voix de Whitney, perçue de façon controversée, à cause de son  caractère très américain et assez agressif, ne séduit pas tout le  monde, pas autant que celle de Katarina Pejak. Le jeu très complet  de Laura Chavez se montre tout à fait digne de sa réputation malgré  une façon très américaine, là aussi, de faire le show, et un son  très agressif sur scène, peut-être un peu trop pour le style  musical abordé (heureusement, la sono permet d’atténuer le  phénomène pour la salle). Agressif… Peut-être le mot-clé du  set, malgré les sourires de façade, mais qui n’a pas été  vraiment perçu par une grande partie du public totalement séduit  par une forme enjôleuse. Cette prestation, qui aurait pu être un  pur bonheur musical au regard des multiples talents et de l’énergie  déployés sur la scène, nous a aussi rappelé l’urgence de  modeler au féminin un terme équivalent à celui de « macho » :  la méprisante obsession gynarche de la chanteuse devient vite  lassante. Dommage… Si un chanteur avait osé balancer sur le sexe  opposé la moitié de ce qui a été déversé ici, il aurait  aussitôt été cloué au pilori du sexisme. Appartenir au sexe  féminin n’autorise pas tout, en tous cas pas plus qu’il n’est  autorisé au sexe masculin. 

    
    La première soirée se termine  avec la découverte du très inventif quartet milanais Holebones.  Délivrant avec une grosse énergie un set très diversifié, souvent  teinté de funk et de rock, les Italiens ont maintenu jusqu’au bout  l’intérêt du public, avec des compositions multipliant les  brillants morceaux de bravoure. Citons pêle-mêle ce formidable  moment d’orgie guitaristique entre Guild et Strat’, ou le morceau  captivant interprété totalement en solo par le bassiste,  s’accompagnant en… slide (!), ce qui a rappelé aux moins jeunes  des ambiances de Morphine, ou le clin d’œil hendrixien à Voodoo  Chile, avec la wah-wah qui va bien, ou ce très original blues lent à  la limite du… rock progressif ! Bref, malgré l’heure  tardive, pas moyen de s’ennuyer, ni de s’endormir avec un groupe  pareil ! Une belle clôture pour un premier jour intriguant et  plus original qu’attendu.
    
    Le lendemain, c’est aussi le  jour Bar’n’Blues.  Il me faut faire l’impasse, mille fois hélas, sur Ci-Gît  Cale,  en raison de l’heure étrange de programmation. 12h, alors que le  deuxième groupe passe à seulement 17h et que le festival reprend à  19h ! Difficile (ni écologique, ni économique) de faire les  dizaines de km aller-retour séparant Bain de mon domicile dans  l’après-midi et je ne me voyais pas « poireauter »  pendant des heures sur place en attendant le deuxième concert. Fort  heureusement, pour l’avoir plusieurs fois vu sur scène, je connais  déjà le duo, et je peux vous assurer que ses réinterprétations  des morceaux de Jay-Jay sont tout à fait recommandables. En  revanche, je ne pourrai rien vous dire de la prestation livrée ce  jour-là au café « Aux Deux marches » de Bain de  Bretagne. Tant pis…
    
    En revanche, j’ai pu assister en fin  d’après-midi à la prestation du Kaëlig  Frédéric Trio au Point B@r. S’appuyant sur les deux albums sortis en 2020 et 2021  (tout à fait la bonne période pour ça…), et accompagné de  Didier Geffroy à la basse et d’Henri Letouche à la guitare,  Kaëlig a pu séduire le public dans une ambiance bonhomme avec un  set assez court. S’occupant personnellement du chant, de la  guitare, de la batterie, façon « one man band », et de  l’harmonica (sacré boulot au passage !), il a pu diffuser ses  compositions dans la lignée de ses inspirateurs (Deraime,  Verbeke...) de sa voix un peu rocailleuse devant un public attentif.  Les textes en français tiennent plutôt bien la route, le personnage  diffuse une ambiance chaleureuse et plutôt rigolarde malgré ses  coups de gueule, tout va bien ! Bonne entrée en matière avant  le programme de la soirée !
    
  L’arrivée à la salle se  traduit bien entendu par la répétition du spectacle d’Opus17,  puis les portes s’ouvrent pour nous laisser découvrir le trio  chargé des inter-scènes. Mojow se présente sous sa surprenante composition : batterie/chœurs  (Jean-François « Youl » Guédon), guitare/chant (Nanex  Crooner “el Batav”, qui compose aussi les originaux du groupe), et… sax  baryton/chœurs (Benjamin  Kurpisz) ! L’impression dégagée peut surprendre car on a  parfois l’impression, les instruments cumulant leurs vibrations,  que le groupe joue à la fois avec une basse et un sax ténor !  Le trio possède une énergie communicative et remplit de façon  remarquable l’espace sonore. Les différents sets, toujours très  courts, l’exercice, on ne le répétera jamais assez, n’est pas  simple, montrent des facettes assez diverses de leur répertoire. Un  peu plus tard dans la soirée, la dynamique formation osera quelques  originalités, comme ce morceau a cappella à trois voix.
  
  
Traditionnellement,  la deuxième soirée du festival s’ouvre sur la grande scène avec  les lauréats du Prix Bain de Blues des derniers Rendez-vous de  l’Erdre. Cette année, le prix a été remporté par An  Diaz & the Yaketta Brothers,  groupe réunissant les talents de musiciens français et d’une  chanteuse argentine qui a fini par s’établir en France pour  parfaire sa collaboration avec le groupe. Et elle a bien fait !  La greffe a pris, et d’une très jolie façon. Ana apporte son  talent réel de chanteuse à la voix puissante, mais toujours  contrôlée, et sa présence rayonnante à un groupe qui sait  transmettre son énergie et tourne formidablement rond dans  l’interprétation de compositions personnelles variées. Ici, le  blues peut avoir des accents gospel ou swing, sans compter les  ballades, mais les morceaux dont toujours bien construits. An et ses  frangins Yaketta ont prouvé que le Prix recueilli était tout à  fait mérité. Soutenue par la complicité visible avec son groupe,  An a su faire passer toutes sortes d’émotions, captivant des  spectateurs enchantés de la belle découverte… 
  et de l’incroyable  maîtrise du français de la chanteuse. Quelle entrée en matière ! 



        
        Et ce n’était pas fini, car les Bavarois de Muddy  What ?,  jusqu’ici parfaitement inconnus sur nos terres (c’est leur  premier concert en France !), se sont chargés d’asséner la grosse  claque du week-end. La famille Spang a frappé très fort ! Trio  sans bassiste formé de deux Munichois, le frère Fabian et la sœur  Ina, et de leur pote de Nuremberg Michi Lang, le groupe a  immédiatement installé son ambiance. Bien portés par la batterie  de Michi, la voix envoûtante de Fabian et son jeu complexe en  rythmique mêlant basses et slide ont installé un décor sur lequel  est venu se poser l’incroyable jeu d’Ina à la guitare. Avec  elle, tout  semble si clair et évident. Intelligence, délicatesse, subtilité,  inventivité et avec ça, cela lui semble être d'une facilité  déconcertante. Une merveille de toucher, un feeling exceptionnel et un son  fantastique sortant du micro grave de la Strat’ rose customisée  maison, avec un bout de sparadrap pour faire tenir le tout :  quelque chose d’extraordinaire est arrivé ce soir-là à Bain,  généré par les doigts et le talent de la petite gauchère. Pas de  grimace, pas d’esbroufe, juste une apparente décontraction, un  vrai plaisir d’être là sur scène et ces notes incroyables  s’écoulant par les hauts-parleurs ! Car en plus, elle  s’amuse, coordonnant avec son frère, un peu plus contraint qu’elle  par le micro dans lequel il chante, un jeu de scène parfois  fantaisiste dans lequel visiblement ni l’un ni l’autre ne se  prend trop au sérieux. Une vraie bouffée de fraîcheur et de  naturel ! Et les surprises ne sont pas finies : délaissant  sa guitare, Ina s’empare d’une mandoline, s’installe sur un  magnifique tabouret rouge pailleté (!), et là, avec un instrument  acoustique, s’appuyant toujours sur le formidable tricot rythmique  de son frère, la magie continue ! Mieux : sur le morceau  suivant, un blues déchirant, la mandoline fait merveille de manière  totalement inattendue. Quand le vrai talent est là… Juste  derrière, notre trio revisite à sa façon, et toujours mandoline en  tête, le célèbre « Jumping Jack Flash » des Stones, et  ça fonctionne ! Comme dans le blues peinard qui suit, ou dans  le funk qui lui succède et qui offre au discret mais très efficace  Michi l’espace de se distinguer lors d’un solo de batterie des  plus originaux. Le set se termine avec le retour de la Strat’ rose,  occasion de nouveaux feux d’artifice. Quel moment incroyable ! 
        
        Un peu plus tard, une trop courte conversation en allemand me  permettra de confirmer le naturel et la convivialité de ces  musiciens. Si les vilains loups du show-biz ne viennent pas les  manger ou les dénaturer, ces musiciens bourrés de talent et d’une  créativité tous azimuts (leurs vidéos et pochettes d’albums en  font foi) vont à coup sûr devenir des références internationales.  Merci infiniment à Bain de Blues de leur avoir permis de  s’exprimer.
    

    Comment réussir à maintenir l’attention du  public, à faire passer son message musical après une découverte  aussi marquante ? Fort heureusement, Thomas  Khan ne manque pas d’atouts et joue sur un autre registre, celui du show  à haute énergie. Poussé par la puissance d’un groupe fourni  (rythmique basse/batterie, guitare (Julien  Filhol),  claviers, et trois vents : deux saxes pour les bois et une  trompette côté cuivres), soudé et fermement déterminé à mettre  la sauce, le chanteur/guitariste délivre un blues/soul/funk de haute  intensité. Le torrent emporte tout sur son passage, y compris  l’adhésion d’un public encore sous le choc du précédent  groupe. Parfois démangés par le syndrome du pois sauteur, les  musiciens déchaînés font monter la température, avec un excellent  sens du spectacle. C’est moins subtil, même si Thomas sait quand  il le faut faire passer de sa voix chaude une émotion moins brute de  décoffrage, mais, la qualité aidant, c’est terriblement  efficace ! Peut-être dopés par le défi posé par les deux  premiers groupes de la soirée, les musiciens remontés comme des  coucous donnent tout ce qu’ils ont, et c’est énorme : ça  déménage à tous les étages, la section de vents joue les  Claudettes avec enthousiasme et, porté par l’accueil d’un public  lui aussi en feu, Julien  Filhol finit par se fendre d’un énorme solo. Thomas Khan et son  groupe ont apporté une pierre décisive à ce qui se dessine déjà  comme une soirée d’anthologie, même en regard des standards  élevés du festival.
    
    
    
    
        Après un dernier passage de Mojow,  arrive le temps des Belges déjantés de Boogie  Beasts,  à qui revient l’honneur de clore cette édition du festival. Là  encore, nous ne fûmes pas déçus ! Leur bonne humeur et leur  dynamisme les ont lancés dans un set entraînant, avec un  harmoniciste démonstratif, n’hésitant pas à faire hurler les  anches de son instrument, et une curieuse manière de fonctionner des  deux guitaristes-chanteurs, Jan  Jaspers et Patrick Louis, qui  jouent alternativement sur leur guitare les parties de basse en  fonction du morceau ! Ce n’est pas du tout la même école que  Breezy Rodio la veille... Une fois prise la mesure d’un public à  la fois comblé dans ses attentes mais encore assez éveillé pour  accueillir un surplus de sensations, le groupe ne va pas tarder à  montrer la démesure de son exubérance : à l’occasion d’un  boogie lancinant, Fabian  Bennardo,  l’harmoniciste très remuant, descend dans la foule. Ce n’est que  le début ! Après quelques autres facéties (faisons court…)  et participations demandées aux spectateurs, l’ensemble des  organisateurs et des bénévoles disponibles est invité à monter  sur scène ! Tout le monde se prête de bonne grâce à cet  impromptu, y compris des membres d’autres groupes. Puis au cours du  rappel demandé à grands cris par le public, le groupe invite les  spectateurs à s’agenouiller, puis à se redresser d’un coup à  son signal, avant de terminer la soirée dans une ambiance de délire  festif bon enfant très appréciée.
 
    
        Pouvait-on rêver mieux pour  terminer une soirée incroyable et un festival dans l’ensemble  remarquable, éclectique, toujours très riche, très bien organisé  et très convivial ?
        
        Le public peut se retirer dans la nuit  bretonne, la tête pleine d’images et de sons agréables :  
    vivement l’édition 2024 !
Y. Philippot-Degand
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