ANKEN
Te Varvo (2007)
http://www.anken-da-viken.com
Titres
:
1- Laosk!
2- KañV
3- Dial
4- Entremar
5- Orged
6- War Goll
7- Memento Mori
8- An Ac'hav
9- Anken
10- Izslonk
Musiciens:
Mark ar Ruz : Guitares, Claviers, Programmation / Steven Maze : Chant
Ce disque
est un O.M.N.I. (Objet Musical Non Identifié)!
Parfois, dans la vie d'un chroniqueur, pour modeste soit-il, se présente
une opportunité de s'aventurer hors des chemins balisés. Certains
hésitent, moi pas, quitte à faire la grimace si le produit me
déplait. Rarement, cependant, il est donné de découvrir
une expression sonore incroyable, à la fois totalement originale et
aussi intéressante qu'avec Anken.
En général, je ne suis pourtant pas chaud (c'est rien de le
dire, croyez-moi!) quand on me parle de boucles, de programmations
Mais,
connaissant depuis longtemps Mark, j'aurais été très
déçu de découvrir une de ces stupidités artificielles
qui permettent, grosse caisse en avant, à un public aux facultés
altérées par le volume sonore, la fatigue et quelques substances
aux effets douteux de se trémousser bêtement jusqu'à tomber
sous l'effet d'une ivresse pas seulement due à la fatigue!
Du coup, l'originalité du produit me le rend difficile à décrire.
Imaginez le petit enfant de grands parents qui auraient le profil d' "Helter
Skelter" (Beatles) et Black Sabbath côté paternel et de
"Won't Get Fooled Again" (Who) et de Kraftwerk côté
maternel, dont les parents ressembleraient
à la fois à du death metal et de la "nouvelle" musique
bretonne d'un côté (!) et à un croisement entre Devo et
les premiers Blondie de l'autre. Et cet enfant serait confié pour son
éducation
à un pédagogue fan de gwerz et de musique classique écoutant
du Magma! Vous n'êtes pas plus avancés? C'est bien ce que je
craignais
L'album est conçu comme un concept album. Le thème, plutôt
sombre mais fort, raconte l'histoire d'un homme condamné à mort,
humilié en place publique et exécuté. Mais cette mort
ne pourra pas l'empêcher de se venger cruellement. Sombrant dans la
folie, l'homme entraînera le monde dans son propre chaos. Pas simples,
les petits gars d'Anken! On sent toute cette rage dans la puissance de la
musique, dans les guitares graves et sursaturées de Mark comme dans
le chant guttural et menaçant de Steven. Non, ce n'est pas du kobaïen,
mais du breton! Heureusement pour les non-bretonnants, le livret explique
à quoi correspond chaque morceau. Le choix de la langue bretonne pour
les textes contribue par sa sonorité particulière à la
couleur sonore étrange des morceaux.
Le son général, énorme mais maîtrisé, et
le mixage bénéficient du savoir-faire d'ingénieur
du son de Mark.
Mais ce qui n'aurait pu être qu'un épais album de death-metal
indus' chanté en breton se transforme en autre chose, allégé,
brisé avec beaucoup d'intelligence et de sensibilité par les
churs, les boucles de synthés et les attaques des nappes de violons
et autres instruments à cordes frottées, traitées de
manière originale mais sous laquelle on sent la formation classique
de Mark. La programmation de la batterie fait la place belle à des
breaks et une sonorité marqués par l'influence de Gonzo. De
plus les deux compères ont eu la volonté de garder un sens mélodique
à l'entreprise, entre autres par des lignes vocales très prenantes
pouvant s'étirer comme une longue plainte rageuse. Pas de démonstration
de shredder ici (Mark se risque juste à deux soli, là aussi
plutôt mélodiques, en tout et pour tout), mais une ambiance de
cérémonie religieuse et barbare, véhiculant à
la fois la force des démons souterrains et la spiritualité primitive
d'une humanité cherchant à se concilier ces forces obscures,
mais si puissantes. Le contraire exact d'une petite bluette superficielle
et anodine. Te Varvo se sert de l'intensité des concepts abordés
pour soutenir, articuler une expression musicale profonde et déchirée
qui emporte tout sur son passage. Il faut vraiment l'écouter pour y
croire!
Ce genre de disque ne plaira pas à tout le monde (trop "bruyant",
trop dérangeant, trop personnel
), mais ceux qui ont la curiosité
de vouloir découvrir un nouvel univers feraient bien de se précipiter
sur la galette. Les plus timorés pourront se faire une idée
de l'affaire en allant surfer sur Internet (http://www.anken-da-vita.com/
et http://www.myspace.com/anken/). En tous cas, une chose est sûre:
en ce monde uniformisé, Anken ne manque pas de personnalité,
ni d'idées
ou de savoir-faire, et rien que pour ça, nous devons l'en remercier.
Yves Philippot-Degand