ERIC CLAPTON
2024 World Tour à l’Accor Arena, Bercy, Paris 26 mai
Eric Clapton - Set-liste Paris, 26 mai 2024
Électrique :
01. Blue Dust
02. Key To They Highway (Charles Segar)
03. Hoochie Coochie Man (Willie Dixon)
04. Badge (Cream)
05. Prayer Of A Child
« Acoustique » :
06. Back Home
07. Nobody Knows You When You’re Down And Out (Jimmy Cox)
08. Golden Ring
09. Tears In Heaven
Électrique :
10. Got To Get Better In A Little While (Derek and the Dominos)
11. Holy Mother
12. Crossroads (Robert Johnson)
13. Little Queen Of Spades (Robert Johnson)
14. Close To Home (solo Nathan East) (“Close To Home”, écrit par Lyle Mays, a été interprété essentiellement par Nathan East, avec Eric l’accompagnant pour servir d’intro à “Cocaine”)
15. Cocaine
Rappel (électrique) :
16. Before You Accuse Me (Bo Diddley)
Composition du groupe:
Eric Clapton – guitare / voix
Doyle Bramhall II – guitare / voix
Chris Stainton – piano / claviers
Tim Carmon – Hammond / claviers
Nathan East – basse / voix
Sonny Emory – batterie
Katie Kissoon – chœurs
Sharon White – chœur
Pas facile pour des Provinciaux, surtout venant de l’ouest, d’arriver à l’Accor Arena ! Je souhaite bien du plaisir à ceux dont le GPS ou tout autre aide numérique connaît une défaillance : tout est fait pour décourager les bonnes volontés, y compris l’absence d’indication pour l’accès à un parking pourtant réservé par avance. Encore des frais à ajouter au coût de la soirée ! De plus, compte-tenu de l’heure et du jour du concert, prière de prévoir de sérieux délais de route en raison des encombrements chroniques (et quelque peu provoqués volontairement, suivez mon regard...) de cette partie du territoire.
Malgré tous ces bâtons dans les roues (qui expliquent aussi pourquoi nous nous déplaçons de moins en moins, tant pis pour les artistes !), nous finissons par arriver à bon port. C’est que c’est peut-être la dernière occasion de voir Eric Clapton, « God himself », en concert ! Espérons quand même qu’il y en aura d’autres !
Reste à savoir comment orienter la marche à pied qui nous attend, car là encore, aucune indication ne nous guide. Au fur et à mesure que nous approchons se dessine quand même une sorte de flux... qui nous mène d’abord, faute de signalisation, à l’entrée d’une patinoire ! Tenaces, nous suivons la forme du bâtiment et finissons par arriver aux entrées : reste à distinguer où est celle que nous devons emprunter, mais là nous sommes enfin mieux guidés. Le service d’ordre est bon enfant, nous avons dû imprimer à nos frais les billets avant de partir mais ça passe sans problème. Petit tour par la boutique de produits dérivés, histoire de renouveler la garde-robe, où la file importante avance pourtant rapidement grâce à du personnel affable et compétent, et entrée dans la salle. L’accueil aimable et efficace nous permet de trouver rapidement nos places, la soirée tant attendue peut commencer. D’où nous sommes, en haut et légèrement sur le côté, nous avons une vue sans obstacle sur la scène, ce qui n’est pas le cas des spectateurs juste en face, gênés par un énorme paquet de câbles qui tombe du plafond au beau milieu de l’espace ! Nous avons été prévenus que la star de la soirée ne démarrerait pas avant 21 heures, nous croyons avoir beaucoup de temps : que nenni !
Les lumières s’éteignent juste avant 20 heures pour faire place à la première partie. Il s’agit de l’artiste Rover, chanteur-guitariste seulement accompagné d’un batteur, que Rover présentera, le reste de l’orchestration dépendant d’enregistrements. J’avoue que je ne connaissais pas du tout, mais l’artiste semble avoir des influences musicales sympathiques. En revanche, le son n’est pas du tout à la hauteur, avec en particulier des basses qui saturent et sont beaucoup trop tournées vers les infra-sons. Le rendu des accompagnements s’en trouve très altéré. Néanmoins, la voix passe à peu près bien, et ce n’est pas le moindre atout de Rover, qui aligne des sortes d’arias planantes relativement complexes chantées en anglais, mi-pop/mi-progressives, et fort heureusement plutôt mélodiques. Le personnage dégage une certaine sympathie et fait l’effort de communiquer sa joie d’avoir été choisi pour entamer une soirée aussi prestigieuse. Tous ces efforts finissent par emporter l’adhésion de la salle et lui valoir un succès justifié. Néanmoins, malgré l’agrément des mélodies, la succession de ses morceaux un peu trop semblables dans la forme a aussi montré une forme de monotonie dans l’inspiration (ou était-ce les contraintes liées à cette prestation?) comme dans l’enveloppe sonore, originale mais répétitive, avec toujours les mêmes nappes perpétuelles et le flanger omniprésent de la guitare. Retenons dans ces conditions difficiles une vraie personnalité, sympathique, des compositions mélodiques, et une voix convaincante qui aurait mérité un meilleur environnement sonore.
Après une vingtaine de minutes d’entracte pour permettre difficilement de soulager quelques vessies, le nombre insuffisant de toilettes, en particulier masculines, provoquant là aussi de redoutables files d’attente, les lumières s’éteignent à nouveau, juste avant 21 h, la salle frémit et le grand moment tant attendu arrive.
Comme dans la plupart des concerts de cette tournée, le groupe entame sa prestation par « Blue Dust », un instrumental qui permet peut-être à l’équipe son de régler plus finement en présence du public tous les paramètres définissant l’équilibre du groupe. Au-dessus de la scène, six écrans rectangulaires, quatre juste au-dessus et deux sur les côtés inclinés vers les gradins latéraux, permettent de suivre l’évolution des musiciens, l’association des quatre de devant permettant aussi une forme de grande image sur un seul plan. L’instrumental bluesy permet aussi de lancer le concert en envoyant au public le signal que ça y est, c’est parti. Les derniers retardataires peuvent revenir en catastrophe dans la salle et voir le groupe passer au célèbre « Key To They Highway » de Charles Segar, appartenant au départ au répertoire de Big Bill Broonzy, qu’Eric a grandement contribué à populariser en le plaçant à la fin du premier disque de son célébrissime double album Layla and Other Assorted Love Songs. On sent la machine se mettre sérieusement en marche, ça ramone sévère mais en évitant soigneusement le lourdingue, ça pulse avec puissance : le groupe est dans son élément, comme le confirme le titre suivant, tout aussi fameux, « Hoochie Coochie Man » composé par la référence à la contrebasse Willie Dixon et interprété pour la première fois par Muddy Waters en 1954. 70 ans, ça ne date pas d’hier, mais le jeune Eric était déjà là, même s’il n’avait alors que 9 ans. Le titre figure dans son album studio de 1994 From the Cradle. Ce soir, Doyle Bramhall s’y distingue par un très joli solo mixant slide et notes aux doigts. De manière générale, Eric laisse largement s’exprimer les autres musiciens, mais sans pour autant se cacher derrière eux. Cela commence en général par son vieux complice Chris Stainton pour un solo de piano, et cela comprend tant Doyle Bramhall qui a depuis longtemps conquis ses galons dans la formation, que Tim Carmon, missionné principalement à l’orgue Hammond, avec quelques échappées vers un synthé au son percussif. Puis à la fin, le patron se charge lui-même de conclure les débats, en une ou deux interventions tranchantes démontrant qu’il n’entend pas laisser sa part à ses complices.
Après cette entame très blues et quelques notes d’introduction par Eric, surgissent les premiers arpèges de « Badge », co-écrite avec George Harrison, et qui porte la marque du Beatle en empruntant sa tonalité générale au morceau de bravoure de George avec les Beatles (« While my guitar gently weeps ») mais dont les arpèges un peu modifiés se retrouveront aussi chez les Beatles dans « Here comes the sun » et « You never give your money ». Enregistré en 1968 avec à la deuxième guitare un George sous pseudonyme pour des raisons contractuelles, le morceau trouvera sa place dans l’album Goodbye en 1969. Le morceau confirme que la voix d’Eric n’a rien perdu de son timbre et de sa constance. Tout au long de ce concert, elle montrera sa qualité, sans fêlure, délivrant encore une certaine puissance et bénéficiant de l’habileté du musicien pour tricher un peu. On peut avoir quelques problèmes à attraper quelques notes aiguës à 79 ans, mais quand la substitution est aussi bien faite… Les choristes féminines, Katie Kissoon et Sharon White, le fidèle Nathan East et Doyle Bramhall se chargent par ailleurs de compenser des harmonies ainsi perdues, ce qui procure finalement un rendu tout à fait satisfaisant.
Le concert semble lancé sur des rails chromés avec cette très bonne version d’un titre largement quinquagénaire quand tout s’arrête alors de façon un peu surprenante, et on change le mobilier pour permettre à Eric de s’installer pour la partie acoustique du concert, après seulement quatre morceaux. Un peu précoce pour beaucoup, ce changement n’augure pas d’un concert-fleuve… Nathan East s’empare de la contrebasse postée sur le plateau depuis le début, et Eric passe au finger-picking et se lance dans « Back Home », le morceau qui concluait son album éponyme de 2005, avant de reprendre « Nobody loves you when you’re down and out », un vieux blues centenaire et bien swinguant de Jimmy Cox remontant au début des années 1920 et surtout connu pour sa version de Bessie Smith en 1929. Le titre fut enregistré pour la première fois par Eric sur le double album Layla and Other Assorted Love Songs déjà cité, et fut le premier où Duane Allman put intervenir, reproduisant ce qu’il avait l’habitude de jouer lorsque son frère le chantait. Le Maître le joue essentiellement en haut du manche (les grands écrans, ça aide !). Chris Stainton s’y distingue particulièrement au piano, le morceau s’y prête d’ailleurs admirablement. La surprise du chef fut quand les vieux admirateurs identifièrent ensuite une intro inédite, mais à la structure familière, débouchant sur « Golden Ring », formidable et émouvante ballade aux accents louisianais figurant sur Backless, sorti en 1978. Toute ma jeunesse… J’ai toujours beaucoup aimé ce titre, pratiquement jamais joué depuis 1978, qui raconte la fin du triangle amoureux constitué par Eric Clapton, George Harrison et Patti Boyd, les deux derniers divorçant en 1977. Imprégné de la souffrance de toutes ces années à convoiter la femme de son meilleur ami, Eric l’avait traduite dans ce bijou intimiste, repris ici avec toute la délicatesse et toute la sensibilité indispensables. Chris Stainton quitte son piano pour reproduire sur un synthé les parties d’accordéon et ce soir-là à l’Accor Arena, les souvenirs aidant, tout le public put constater que le titre avait gardé toute sa magie. Grandiose… De souffrances amoureuses en tragédie parentale, Eric a ensuite enchaîné sur le très attendu « Tears in Heaven », catharsis poignante de l’accident mortel de son fils Conor en 1991, là encore magistralement interprétée et qui restera comme un classique incontournable de l’artiste.
Après cette superbe parenthèse acoustique, retour à la formation électrique, avec une formidable version de « Got to Get Better in a Little While », tout sauf molle. Sortant de l’émotion générée par « Tears in Heaven », le public se retrouve face au choc d’une orgie de décibels. Contraste et montagnes russes. Ce morceau assez peu connu eut une destinée agitée : d’abord enregistré en studio pour le deuxième album de Derek and the Dominos, qui ne vit jamais le jour, le titre n’apparut qu’en 1973 en version en public dans l’album In Concert. Finalement, une version studio a fini par sortir des lustres plus tard en 1988 sur Crossroad, une compilation solo de Clapton. Ouf ! En tous cas, la version du soir ne manquait pas d’énergie, et ce qu’on pressentait depuis « Key To They Highway » a trouvé sa confirmation : malgré ses 79 ans, Eric a gardé son fond bien électrique de l’époque Cream ou de Derek and the Dominos, et, impérial sur ce morceau, il ne dédaigne pas prendre plaisir à « mettre les watts », comme on dit. La Stratocaster du Maître crache des notes saturées et funky, la pédale wah-wah entre en action comme lors des plus belles heures de Cream, la rythmique pulse, le groupe met tout son savoir-faire, et il est grand, pour remettre le public sur les rails chromés quittés pour la merveilleuse parenthèse acoustique et redonner une dynamique très électrique à sa prestation. Le groupe enchaîne sur « Holy Mother », titre co-écrit avec le chanteur-guitariste Stephen Bishop et provenant de l’album August de 1986, dont il fut l’un des « singles ». L’époque était alors à la collaboration avec Phil Collins pour la production et les parties de batterie. La version livrée ici, tout en sensibilité, permet aux trois choristes (Katie, Sharon, et… Nathan !) d’installer une ambiance gospel que les nappes de synthé de Chris Stainton, un peu trop fidèle à la version studio, n’arrivent fort heureusement pas à dissiper pendant qu’Eric conclut le morceau sur un très joli chorus.
Après une intro très saturée d’Eric en solo, ne livrant aucun indice sur la suite, surgit à rythme modéré le riff du célèbre « Crossroads », qu’Eric a enregistré avec Cream en… 1968. On est loin du tempo des versions endiablées du Skynyrd de la grande époque, mais ça avance quand même, avec ce swing irrésistible qui donne envie de taper du pied en mesure, et avec le soutien bienvenu des chœurs. Eric, puis Chris, Doyle, Tim, et à nouveau Eric se chargent d’illustrer magnifiquement la grille, avant d’enchaîner aussitôt sur un autre titre de Robert Johnson : « Little Queen Of Spades », un blues lent et poisseux issu de l’album-hommage Me and Mr. Johnson (2004) : 20 ans déjà ! Eric entame les propos à la guitare avec beaucoup de feeling, qualité qu’on retrouve juste ensuite dans son chant. Chris Stainton brille alors délivrant un très beau solo. Après un autre couplet, Tim Carmon prend la relève, Doyle enchaîne et Eric conclut avec brio.
Arrive alors l’autre surprise de la soirée : Nathan en solo interprète le très court « Close To Home » avant d’amorcer l’intro de « Cocaine », le célèbre titre anti-drogue de J.J. Cale qu’on ne présente plus, sorti en 1977 sur l'album Slowhand, puis en single en 1980. Comme souvent, Eric prend le premier solo, avant un nouveau passage chanté et le moment où le groupe ne s’exprime à son tour : Doyle puis Tim au synthé avec un son rappelant la wah-wah, et Chris, et un court retour vocal pour une longue version (plus de sept minutes) de ce titre-phare. C’est le moment où le groupe choisit de quitter la scène.
La foule réclame bien entendu à corps et à cris un rappel, qui lui sera accordé sous la forme du titre de Bo Diddley « Before You Accuse Me », dernier titre de Journeyman (1989), bien carré, qui suit le schéma connu des interventions du groupe : premier solo pour Eric, suivi aussitôt de Chris, puis Doyle, Tim, reprise du chant, avant un court double solo de Doyle et Eric reproduisant la mélodie de… « Dust my broom » et servant de coda. Un seul titre en rappel, mais un concert magnifique, avec beaucoup d’énergie et de sensibilité, plutôt bluesy dans l’esprit, et qui restera dans les mémoires des spectateurs présents. À la sortie, certains regretteront l’absence de « Layla », que ce soit en version acoustique ou électrique (que je préfère), et de quelques autres titres qui ont fait la célébrité de l’artiste, on ne va pas les citer ici, mais à son âge, Eric ne peut pas non plus rester quatre heures sur scène et interpréter tous les titres les plus connus qui ont jalonné sa carrière.
Un bien beau souvenir en tous cas !
Y. Philippot-Degand
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