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Interview de Jippé, le bassiste des Truckers par Y . Philippot-Degand

Bonjour JP, merci de répondre à nos questions pour Road to Jacksonville.
Avant toute autre chose, j’aimerais revenir sur ton parcours. En tant que bassiste, tu n’es pas le membre des Truckers le plus connu, et pourtant en raison de la fonction particulière de ton instrument, tu occupes un rôle-clé alors j’aimerais que nos lecteurs fassent mieux connaissance avec toi. Tout d’abord, quelles sont tes influences musicales ?

Salut Yves, c’est avec un réel plaisir que je répondrai à tes questions.
Que dire de mes influences musicales ? Elles ont évolué avec le temps et sont de sources différentes telles la vie, le quotidien. Plutôt rock progressif (Genesis, Yes ...) au début puis une tendance aux groupes de rock anglais comme Led Zeppelin, Deep Purple, Cream, les Stones les Who (entre 14 et 18 ans), puis dans les années 80 (Bowie, Joe Jackson, Clash, Stiff Litlle Fingers, AC/DC. . .), Ensuite j’ai découvert le blues, le rock sudiste (ZZ Top, Lynyrd Skynyrd, Molly Hatchett ,Outlaws, Blackfoot…), j’ai peur d’ en oublier !

Comment es-tu venu à la musique ?

La musique a toujours occupé une place à part dans ma vie, Le reflet et la mémoire des sentiments, des bons ou mauvais moments, elle accompagne et rythme le quotidien. Je n’ai jamais renié ce que j’ai pu écouter auparavant, c’est simplement une évolution dans le temps. J’ai toujours été autodidacte, Les groupes dans lesquels j’ai joué par chronologie : Feel Dream, War Machine, Antigel, Truckers. Et des tonnes de bœufs entre potes musiciens.

La basse est-elle ton premier instrument ? Qu’est-ce qui a motivé ton choix ?

J’ai essayé la flûte à l’école, je n’en garde pas un grand souvenir (lol), Mes parents m’ont offert une guitare sèche lorsque j’avais 13 ans, mais rien de sérieux, d’abouti. Plus tard vers 17 ans, j’ai été attiré par le rythme et l’ampleur des graves d’une basse, un conducteur et un support pour les autres instruments. Un os pour ma carcasse musicale, quelque chose sur lequel on s’appuie, se repose.

Comment t’es-tu forgé ton style ? Quels bassistes t’ont le plus influencé ?
Je ne me suis jamais vraiment posé la question de savoir quel style j’avais, juste le sentiment d’avoir une relation particulière avec l’instrument en jouant avec les doigts plutôt que d’utiliser un médiator, et naturellement je me suis intéressé aux bassistes qui faisaient de même (John Entwistle, Graham Maby (excellent mais plutôt connu pour son jeu au médiator, non ?, NdR), J. Pastorius et bien d’autres). Je ne me suis jamais estimé être un technicien de la basse, juste essayé (sans prétention) de transcrire des émotions, des sentiments (de la rage aux larmes). Quelqu’un disait : rien ne sert de connaitre toutes les notes il suffit de jouer les plus belles.

Joues-tu d’un autre instrument ou uniquement de la basse ?

Je ne joue que de la basse, j’adorerais savoir jouer du piano, de la batterie mais je n’ai jamais trouvé le temps d’apprendre. J’ai une guitare acoustique à la maison mais je l’ai laissée à ma fille, elle en fait un bien meilleur usage que moi.

Comment es-tu entré dans les Truckers ? Y as-tu rapidement trouvé ta place ?

Dans les années 90 j’avais eu l’occasion de faire un bœuf avec les TRUCKERS lors d’une soirée avec des potes (grand souvenir) En 1991, suite au départ du bassiste de l’époque, Michel m’a appelé pour savoir si j’étais intéressé pour le remplacer. Pourquoi pas ? Et cela fait 22 ans que cela dure . . .

Michon (Michel Graizely, le batteur) était-il déjà le batteur des Truckers? Le connaissais-tu avant ? Comment se passe votre entente ?

J’ai rencontré Michon bien avant qu’il joue dans Truckers, on fréquentait les mêmes endroits et pendant un certain temps, nous n’étions dans aucun groupe et on se rencontrait pour des soirées Blues avec un copain guitariste chanteur ; lui connaissait les morceaux, Il nous donnait les lignes d’accords et avec Michon on partait à l’aventure sur des morceaux que l’on n’avait parfois jamais écoutés. J’en garde un bon souvenir car très riche en spontanéité et créativité. Beaucoup de feeling et d’impro. De bons moments de complicité.

Comment coordonnes-tu tes lignes de basse ? Tu fonctionnes en solo dans ton coin ou en collaboration, avec Michon, avec Pascal (P. Alex, guitariste rythmique des Truckers) ?

La création peut être individuelle mais la mise en place est collective. Chacun donne son avis que ce soit sur le contenu ou sur la manière de faire, Truckers est avant tout un groupe.

Comment as-tu vécu les ennuis de santé de Michon en 2003 ?

On devait jouer au Rock & Road Corsica, Chico et Pascal étaient déjà en Corse, Avec Prib et Michon on devait les rejoindre en fin de semaine, Cela a été un coup de massue ; ne pas savoir si il allait s’en tirer ? Devait-on jouer ? Comment ? Avec qui ? Un ami batteur s’est proposé pour remplacer Michel, Il a bossé le set en 24 h (chapeau !), Mais le savoir cloué à l’hôpital sans savoir s’il allait s’en sortir a été une épreuve, Le concert lui a été dédié, L’année suivante, lorsque l’on est retourné en Corse ensemble cela a été une revanche pour lui et pour nous tous (une super fête).

En plus de bassiste, as-tu une fonction spécifique (ou plusieurs) dans Truckers ?

Je m’occupe de tout ce qui est design pour le groupe (promo, affiches, flyers, et la réalisation des pochettes des albums), Ce qui touche l’image me passionne. J’ai réalisé la 1ère mouture du site web du groupe, une façon de faire connaitre Truckers au-delà des concerts, et avec Chico sur les réseaux sociaux, donner des infos et actus du groupe.

Avez-vous toujours joué du rock sudiste, ou est-ce à la suite de certaines rencontres?

Lorsque je suis arrivé dans le groupe, l’étiquette Rock Sud était déjà bien ancrée. Je ne pense pas que les rencontres aient influencé la musique de Truckers, juste donné une certaine couleur à certains évènements. Aujourd’hui Truckers se revendique être un groupe Rock, C’est les personnes qui écoutent notre musique qui lui attribuent telle ou telle étiquette. Venu d’origines musicales différentes, chaque membre du groupe apporte
une part de son identité dans la musique.

La carrière des Truckers s’étend désormais sur plus de 25 ans. Que retiens-tu de ces années au sein du groupe ? Quel est ton meilleur souvenir ?

Un groupe c’est comme un couple en plus nombreux (lol), il y a des hauts et des bas, Il faut savoir préserver une certaine intimité pour pouvoir durer, et garder son originalité. 25 ans de route, de concerts, il y a forcément de bons et de mauvais souvenirs. Le FreeWheels en 93 c’était une scène énorme, la première grande scène pour le groupe et moi-même. En rentrant on s’était posé la question : on l’a vécu ou on l’a rêvé ? Mais la semaine suivante on jouait dans un club glauque, ce qui nous a remis les pendules à l’heure. De même, un concert en Normandie dans le cadre d’un festival ; traverser la France, 3 jours de pluie, pas un chat, un grand moment d’échange avec le peu de personnes présentes. Tous ces moments, bons ou mauvais créent des liens entre chaque membre du groupe, Truckers, c’est en 25 ans : du rire, des larmes des coups de gueule et l’envie de partager ces moments privilégiés avec son public.

Quelle est la personnalité rencontrée sur la route qui t’a laissé la plus forte impression ?

En 92, à Besançon on avait partagé l’affiche avec Calvin Russel. On s’est retrouvé au FreeWheels en 93, il se souvenait de nous. On a fait l’after-concert à l’hôtel avec lui et son groupe ; un grand, GRAND moment…
Cette année, lors d’un concert avec American Dog et SkinnyMolly à Montbéliard, on a rencontré Mike Estes, on a eu l’occasion de faire un bœuf avec lui ; un super souvenir, quelqu’un de simple, abordable, vraiment sympa !

Les Truckers ont souvent véhiculé une image de groupe un peu sauvage, es-tu d’accord avec cette image ?

Il semblerait qu’il y ait des personnes de caractère dans le groupe (lol) mais cela dit ces mêmes personnes ont un cœur énorme …

Parmi les incroyables souvenirs que tu as dû accumuler au cours des années, peux-tu nous parler des Rock & Road Corsica 2002, 2003, 2004 et 2005 ?

Les concerts faits lors des Rock & Road Corsica ont une connotation particulière, C’est les premiers concerts où l’on prenait l’avion pour aller jouer, ce qui était déjà un évènement en soi (surtout pour Prib qui n’avait jamais pris l’avion !) Les personnes que l’on a rencontrées, un grand sens de l’hospitalité, des moments inoubliables (problèmes santé pour Michon) beaucoup de convivialité (surtout nocturne…), des personnes qui ont fait le voyage pour participer à l’enregistrement du Live à la MALS en 2006.

Parlons un peu matériel maintenant. Depuis peu on te voit avec une splendide Gibson Thunderbird. Comment en es-tu venu à jouer sur cet instrument ?

Je n’ai eu que quelques basses depuis que je joue. J’ai commencé sur une Framus demi-caisse il y a bien longtemps, ensuite j’ai eu une Rickenbacker. Je trouvais le manche trop large et trop plat. J’ai pris une Musicman Stingray, j’ai flashé sur une Ovation Magnum 2 que j’ai gardée très longtemps, Suite à des problèmes de composants électroniques spécifiques que je n’arrive plus à trouver, j’ai pris une Warwick Fortress. Pour la Thunderbird, c’est un rêve de toujours ; lorsque je regardais des vidéos des Who (je n’ai pas eu le plaisir de les voir sur scène) je voyais John Entwistle tricoter sur cette basse. J’ai toujours été impressionné par la forme et le son de cette basse. Lors d’un concert avec les Fatals Picards, le bassiste en avait une. J’ai retrouvé ce son si particulier, rond, gras et très rock. Je croyais que ces basses n’étaient plus fabriquées, et en discutant avec lui cela m’a vraiment donné envie d’en avoir une.

Quel apport ce changement apporte-t-il à ton avis à la musique du groupe ?
Une meilleure définition du son, une présence et une sensibilité même à faible volume, un réel bonheur.

Sur quel ampli branches-tu ta basse ? Cet équipement a-t-il beaucoup varié avec les années ?
Cela fait maintenant plus de 15 ans que j’utilise un Ampeg SVT3 qui me donne entière satisfaction. Cet ampli m’a permis de sentir ma basse dans le dos (une agréable sensation), Je suis très fidèle à mes instruments.

Cela fait déjà 5 ans qu’est sorti « Unplugged », le plus récent de vos six albums. Que s’est-il passé depuis pour le groupe? Quel regard portes-tu maintenant sur les six albums du groupe ?
Les albums ont toujours été des clichés du groupe dans une période donnée, une trace. Leave Me Alone était un challenge pour nous, « on existe et on veut le prouver ». C’est le premier, avec ses défauts et ses qualités, plein de fougue et l’envie de la partager. Chaque album est un instantané de la vie du groupe :Hurricane’s Road, Cross Road, Wonder of Spirit (rencontres, évènements) avec à chaque fois un challenge toujours différent à relever. Le Live est un peu particulier. On voulait garder une trace d’un concert brut et sans retouche (à part le mix).

Unplugged
L’album acoustique, par ailleurs très réussi et très bien accueilli, a-t-il influencé la musique des Truckers ?
Unplugged comme son nom l’indique, c’est sans artifice. Enregistré en très peu de temps on voulait montrer que l’on n’était pas qu’un groupe de sauvages qui faisaient du bruit. Donc c’est forcément une période qui a influencé le groupe.
On a fait plusieurs concerts avec la formation Unplugged

Les Truckers sont connus pour toujours avoir des tonnes de projets en tête, or nous avons vu récemment sur les réseaux sociaux que le groupe préparait un nouvel album qui devrait s’appeler « Travellin’ Man ». Est-ce le seul projet actuel des Truckers ?
Aujourd’hui, comme et encore plus qu’hier, on vit au jour le jour sans savoir de quoi demain sera fait. On n'est plus tout jeune. Les temps ne sont pas faciles pour les musiciens qui veulent rester indépendants du business (je ne dirai pas ce que j’en pense). Une règle du groupe : jouer chaque concert comme si c’était le dernier. Cela fait 25 ans que ça dure.

Un nouveau site, un nouveau CD en préparation… 2013 a donc été une année chargée. Peux-tu en dire plus sur ce nouveau CD, où en êtes-vous de ce nouveau défi ? Quelle ambiance l’album véhiculera-t-il ?
Peux-tu livrer quelques indiscrétions à nos lecteurs ?

Du haut de notre Franche-Comté profonde, on a du mal à se rendre compte et à mesurer la popularité du groupe. Le fait est que cela fait une paire d’années que l’on sillonne les routes de l’hexagone et plus. De rencontres en rencontres, on est conscient d’avoir quelque part un public et il est un fait que le web est un formidable outil de communication. RTJ en est un excellent exemple et heureusement qu’il existe des sites comme vous, cela permet à des groupes comme nous de véhiculer des informations, des passions.
Le nouveau site Truckers sera bientôt en ligne. Avec notre ami Jacky de Graphiconcept, je peaufine la bête. Je pense que le site sera en tous sens à l’image de l’album, tant au niveau graphisme qu’au niveau qualité (du moins je l’espère). Autant que cela ait de la gueule et de l’oreille ;).
Des invités nous ont fait le plaisir de participer à cet album : Rod Barthet, Christophe Marquilly, Virginie Schaeffer, Gilles Fahy, Thomas Keller, C’est avec le souhait d’échanger et de partager et la volonté de rendre hommage à notre pote John Molet, Nos chemins se sont souvent croisés et cela a tissé une amitié et un respect mutuel.
Que Patrice Leblanc et Jean Marie Coron du groupe (Calibre 12, NdR) soient sur l’album nous fait réellement plaisir. La compagne de John, Johanna était présente lors du passage de Patrice au studio. Jean-Marie a enregistré avec la guitare de John, cela a occasionné des moments vraiment intenses, au-delà de l’hommage.

On le sait, les Truckers ont toujours été très liés à Calibre 12. Que penses-tu de leur dernier album et de leur désir de continuer malgré la disparition tragique d’une personnalité aussi forte et aussi regrettée que John Molet ?

Whiskey sans glace est vraiment un super album. Lors de sa sortie j’avais dit à Laurent après avoir écouté plusieurs morceaux : « surtout n’arrêtez pas, continuez, il sonne vraiment bien ». Après le décès de John, le fait de continuer est aussi une façon de lui rendre hommage, continuer l’aventure qu’il avait démarré.

Je sais que les Truckers ont aussi pas mal croisé la route des meilleurs autres groupes d’influence sudiste du rock français (Natchez, Plug’n Play, Diesel Dust, etc…). Comment se sont passées ces rencontres, et comment appréhendes-tu leur musique ?

Ces rencontres ont toujours été l’occasion de moments exceptionnels, de partages ; on n’est pas concurrents, simplement différents. Il est de plus en plus difficile aujourd’hui de trouver des scènes pour jouer. Je pense qu’il faut être solidaires pour pouvoir partager cette musique avec son public.

Je ne peux pas te laisser partir sans la question traditionnelle de RTJ : si tu devais terminer ta vie sur une île déserte, quels sont les cinq albums que tu emporterais avec toi ?

Question bien embarrassante ! A écouter selon l’humeur : Joe Jackson « Big world », David Bowie « Ziggy Stardust », les Stones « Let it bleed », The Who « Who’s next », ZZ Top « Tejas ».

En espérant avoir l’occasion de te revoir ! Bonne zic !
Keep on rockin'
Jippe

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